samedi 15 février 2025

Poème : La rouille et le vent

 Deux vieux tracteurs rouillés reposent sous le vent, témoins silencieux d’un monde où l’essentiel prime sur l’accessoire. Leur carcasse fatiguée, marquée par les saisons, porte en elle la mémoire d’un labeur humble et acharné. Ils veillent à l’entrée d’une ferme où l’on ne compte pas les heures en chiffres, mais en gestes. Ici, on ne produit pas pour accumuler, on sème pour nourrir, on soigne pour guérir, on accueille pour offrir une seconde chance.

Les chevaux arrivent un à un, cabossés par la vie, rejetés par un système qui ne tolère que l’efficace. Mais ici, entre les mains discrètes et bienveillantes de ceux qui habitent ces terres, ils retrouvent leur souffle, leur dignité. Rien n’est fait à la hâte et tout suit le rythme de la nature, en tenant à bout de bras, les corps et des âmes.

À quelques pas, la pinède bruisse sous le vent, la garrigue s’étend au-dessus dans son un écrin sauvage. La ferme, enracinée dans cette nature brute, résiste aux assauts du monde moderne comme du climat de Séville, à ses absurdités administratives, à ses logiques aveugles qui écrasent les petites gens. Pourtant, ici, personne ne se lamente mais résiste. On avance, on crée, on bâtit malgré tout. Avec intelligence et humilité, on compose avec la terre et le ciel, avec la pluie qui n’arrive pas et la sécheresse, trouvant toujours une façon d’avancer sans trahir et tenir l’équilibre fragile du vivant.

Les tracteurs, eux, ne bougent plus, mais ils n’ont pas disparu. Ils sont là, comme une allégorie du temps qui passe et de la force tranquille de ceux qui refusent de plier. Leur rouille n’est pas une fin, c’est une empreinte, la marque d’une existence dédiée à l’utile, à l’essentiel. Ils sont comme ces hommes et ces femmes qui, loin des projecteurs, tissent chaque jour un avenir plus doux, plus juste, en silence, sans attendre d’autre récompense que la certitude d’avoir fait ce qu’il fallait.



samedi 8 février 2025

Poème : Les signes du ciel

 



 Les signes du ciel 

Là-haut, au sommet du monde, le silence règne, seulement troublé par le souffle du vent et le lent passage des nuages. Un cercle oublié repose sur la pierre, vestige d’un temps effacé, où quelque chose d’indicible a pris place. Entre ses contours, allongé au centre, un corps et une conscience.

Dans les mains, un appareil photo, objectif ciel, un simple écran amovible qui semble soudain être une fenêtre vers l’invisible que j’active. Un geste, une inclinaison, et voilà que se capte l’inexplicable. Non pas une image figée, mais une interaction, une danse subtile entre le ciel et la pensée guidant par le mouvement de l’écran.

Les nuages, jusque-là errants, se réorganisent avec une lenteur étrange. Non pas selon le caprice du vent, mais comme une réponse, un écho. Un dialogue s’installe, poétique. Chaque mouvement de l’écran oriente leur trajectoire, sculpte des formes fugaces, des mots qui ne s’écrivent pas mais qui se ressentent. Ils naissent dans la trame du ciel, se délient, s’effacent, renaissent ailleurs tissés d’amour. Il ne s’agit pas d’une illusion, pas de ces jeux d’ombre où l’esprit projette ce qu’il veut voir. Non, c’est autre chose. Quelque chose de plus ancien, de plus vrai là où justement les hommes dansaient pour rendre favorables les saisons.

L’univers, à travers cette étrange mécanique, offre ses signes à qui sait les déchiffrer. Chaque déplacement de l’objet, chaque infime ajustement de l’écran agit comme un pinceau invisible sur cette immense fresque mouvante qui créer une poésie graphique. Elle ne se dicte pas, elle advient, se laisse découvrir. Le hasard n’y a pas sa place, seulement un fil tendu entre le ciel et la conscience.

Autour, quelques silhouettes, rares, des randonneurs venues jusqu’ici sans toujours savoir pourquoi. Elles observent en silence, devinant confusément la portée de ce qui se joue devant elles. Ce ne sont pas de simples formes qui se dessinent dans les hauteurs, c’est une parole offerte, une écriture céleste qui s’échappe et se reforme, insaisissable mais bien réelle.

Alors tout devient évident. L’univers ne se contente pas d’exister, il répond, il orchestre, il compose. Il attend patiemment que l’attention se pose sur lui, qu’elle le reconnaisse, et il se dévoile. Mais combien prennent le temps de lever les yeux ?

Ceux qui sont montés jusqu’ici, qui ont accepté l’effort et le silence, savent. Ils savent que la beauté se mérite, que les révélations se font dans l’altitude, loin du tumulte, là où l’air est si limpide qu’il semble filtrer l’invisible.

Nous ne sommes pas seulement témoins. Nous sommes l’instrument, la main qui caresse le mystère sans le saisir tout à fait. L’univers s’exprime à travers nous autant que nous nous exprimons à travers lui. C’est une offrande réciproque, une danse secrète entre le visible et l’infini.

Et alors, dans cette fulgurance, une vérité s’impose : il n’y a pas de distance entre l’homme et le sacré, seulement le voile de l’oubli.

Meichelus






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